Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/61

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quelques mots de luu des hommes qui m’ont semblé 1 avoir le mieux compris et le plus aimé.

Parmi les personnes qui fréquentaient le salon de madame de Beaumont, j’ai nommé M. Molé. M. Molé, fort jeune encore, se distinguait par une maturité précoce. Son éducation venait de s’achever au milieu des grandes scènes de notre révolution, et aux leçons de l’histoire s’étaient joints pour lui les enseignements des faits contemporains. Il avait vu se dérouler le drame d’un œil plus ferme qu’il ne semblait appartenir à son âge et à sa condition. Je m’en étonne peu toutefois. Il me semble en effet que l’aristocratie française devait être, suivant son origine, différemment impressionnée par les modifications survenues dans notre ordre politique. Je comprends ii merveille les regrets amers, la longue fidélité, la résistance même désespérée des famillesquidevaientàraffection privée de nos rois leur nom, leurs honneurs, leurs richesses ; mais je conçois aussi que celles qui puisaient leur illustration dans les services rendus au pays plutôt qu’à la cour, acceptassent, avec moins de répugnance, des événements qui, d’ailleurs plus forts qu’elles, laissaient encore la France debout. C’est surtout par ces vieilles races patriciennes qui, à la tête des communes ou dans le sein des parlements, s’étaient signalées par une résistance séculaire aux désordres de l’administration et aux envahissements du pouvoir, que devait être jugée avec plus d’indulgence une révolution au travers de laquelle, malgré ses écarts, malgré ses excès, on pouvait entrevoir l’ordre légal comme but suprême du public effort. Dominé plus qu’un autre par ces grands souvenirs de famille, M. Mole ne se croyait donc pas quitte envers le pays. Il s’initiait