Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/393

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385 toucher a rien, et qui pénétre jusqu’aux os. On lui donne un grand vilain nom , dont Pépithéte est fort jolie : c’est un rhumatisme volant. Ce mal bizarre , qui a quelque chose de dragon et de lutin tout a la fois, se joue a ravager un homme. Il se jette, comme en sautant, sur les deux bras, sur les épau- les , sur les dents; et, quand il est las de bondir , ou ras- _ sasié des tourments dont il fait sa vaine pature, il aban- donne les surfaces; il se glisse dans l’estomac, et s’y en- dort. Alors on croit ne plus souilrir; mais on porte , au-de- dans de soi , un poids affreux, pire que toutes les dou- leurs. J ’ai logé cet hote cruel. Je suis en proie a ses caprices, depuis la lettre du mois d’octobre ou je vous en ai dit un mot, et je m’en sentais accablé, lorsque la votre est ve- nue. Elle m’a beaucoup soulagé; elle m’a ranimé du moins , et depuis que je l’ai recue, j’ai fait cinq mouve- ments complets. · Le premier, Madame, a été d’écrire a M. Molé , comme j’ai eu l’honneur de vous le dire , dans un billet que vous avez comblé de gloire, et qui ne mérite pas d’étre compté ; le second a été de vous écrire a vous·méme; le troisiéme , de chercher sur ma table une demi-douzaine dc lettres éparses , que j’avais commencées pour vous , dans les intervalles de mes angoisses , et que j’avais toujours été forcé d’interrompre , en me disant : Je souffre trop; jg recommencerai demain; le quatrieme a été de les lire; le cinquiéme eniin est de vous en envoyer la copie. Com- me l’intention, quand elle est ainsi constatée, équivaut a l’exécution , je pourrai me vanter a vous de vous avoir écrit six lettres pour une , moi qu’on a toujours accusé ri. 25 Digiiizeo by Gccgle