Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/115

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provençale ne leur dit rien. «Quand vous allez dans la bruyère de Hampstead, dit encore H. Spencer dans ses Essais sur le Progrès, voyez si ce qui en fait le plus ressortir l’air pittoresque, ce n’est pas ces champs cultivés tout à l’entour, et ces masses de maisons au loin qui font contraste ; songez alors que si cette surface irrégulière, couverte de genêts, s’étendait de tous côtés jusqu’à l’horizon, elle aurait un air lugubre et prosaïque plutôt qu’agréable ; alors vous verrez qu’une campagne couverte d’un tel tapis n’avait rien de beau pour les yeux de l’homme primitif. Pour lui, c’était simplement un terrain de chasse, avec des bêtes sauvages, et un sol d’où l’on pouvait tirer des racines. Aujourd’hui, ce sont là pour nous des lieux de récréation et de plaisir, — des lieux où l’on va se promener le soir et ramasser des fleurs ; — pour lui c’était le lieu où il travaillait et trouvait de quoi vivre, et ce lieu, sans doute, ne réveillait en lui que des idées d’utilité.» (Ess. sur le Progrès, l’Utile et le Beau.)

Il en va de même pour le paysan. Tel mot, telle locution qui fait pâmer d’aise le citadin ou le Provençal établi à Paris, le laisse indifférent ou n’éveille en lui que des souvenirs pénibles, le souvenir des journées de travail accablantes ou des soucis quotidiens. Par un renversement d’idées très facile à comprendre, c’est le français qui est pour lui la langue esthétique, qui évoque en lui la vision de certaines élégances ou d’un certain idéal. Et c’est ce qui explique tout d’abord pourquoi la renaissance provençale a été l’œuvre de mandarins lettrés, et n’a pas pénétré jusqu’au peuple.

J’arrive maintenant à la discussion du second point que j’ai indiqué tout-à-l’heure. Nous avons constaté que les Félibres avaient réussi à écrire de belles œuvres, et qu’ils avaient mené à bien leur entreprise littéraire. Mais nous avons été obligés de constater en même temps qu’ils avaient échoué dans le dessein qu’ils avaient formé de garder