Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

intactes les mœurs et la langue du paysan, de préserver rame provençale de toute contamination, de toute contagion morale ou intellectuelle. C’est cette partie de leur tâche, que j’ai appelée, faute d’un mot plus exact, leur tâche sociale, qui semble avoir définitivement avorté. Il nous reste à chercher les raisons de cet échec.

La langue parlée par les paysans se corrompt tous les jours, et devient de plus en plus un patois du français. Les infiltrations françaises gagnent et s’étendent continuellement. Les vieux mots d’origine provençale, de moins en moins compris, sont remplacés par des mots calqués sur le français. Dans mon village, on ne dit plus sorre, paire, maire, on dit sœur, père, mère, — on ne dit plus gò crébucèu, on dit veire, couvercle. Tous les efforts des Félibres sont impuissants à arrêter cette décomposition du provençal. L’écart entre la langue parlée et la langue littéraire ira croissant, et le jour n’est pas éloigné où les paysans ne comprendront plus du tout les compositions de nos poètes provençaux. A tort ou à raison, nos paysans trouvent qu’il est plus distingué d’employer un mot dérivé du français que le vocable provençal d’origine authentique ; et cette manie gagnant de proche en proche, on peut être assuré que le vieux vocabulaire provençal finira par être totalement oublié.

Mais ce n’est là qu’un danger médiocre, à côté de celui que la concurrence directe du français fait courir à la langue provençale. Le nombre des familles qui, dans les villages même, renoncent au provençal pour parler français, augmente de jour en jour. Il est vrai que ce français est presque toujours incorrect, semé de provençalismes et même de solécismes authentiques; et Mistral se moque quelque part, avec raison, de ces petites filles qu’il rencontre en chemin, et qui aiment mieux écorcher le français que parler un bon provençal. Mais ce français s’épurera progressivement sous l’influence de l’école primaire, et finira par être