touche le mérite des concurrents. Mais elle prouve au moins quelque chose, en ce qui touche les goûts ou les préjugés des électeurs. Or, dans ce vote bizarre, c’est Victor Hugo qui est sorti premier. Molière n’a été que second, et j’ai regret à dire que Racine a été classé treizième. L’élève Racine n’a obtenu qu’un accessit médiocre. Enfin remarquez encore que jamais la critique — j’entends la critique sérieuse, philosophique, ne s’est autant occupée de Victor Hugo que de nos jours. Je ne puis que citer ici en passant les travaux remarquables de M. Renouvier, qui a appliqué ses hautes facultés philosophiques à l’analyse du génie de Victor Hugo et les beaux livres de MM. Faguet, Ernest Dupuy, Mabilleau, Guyau, Paul Stapfer. Ouvrez ces livres, étudiez-les, vous y trouverez la note exacte. Ou plutôt, puisque j’ai fait moi-même cette enquête, permettez-moi de vous en soumettre les résultats. Je n’ai pas la prétention d’embrasser ici, sous ses faces multiples, toute l’œuvre de Victor Hugo. Il est, dans la forêt, des chênes géants dont un homme seul ne peut pas embrasser le tronc. Je voudrais seulement vous indiquer en peu de mots quel est actuellement l’état de l’opinion et de la critique en ce qui concerne notre poète national. J’examinerai et je discuterai successivement ce qu’on pense de l’homme, du poète et du penseur.
Et d’abord que pense-t-on aujourd’hui de l’homme, de son caractère, de sa valeur morale ? Ces jugements même ne sont pas indifférents à l’appréciation que nous aurons à faire du poète, car il est difficile que les vertus ou les vices de l’homme privé ne se fassent pas sentir dans l’œuvre poétique.
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur. Or l’homme privé, le caractère moral, chez Victor Hugo, a été, du vivant même du poète, considérablement attaqué. Il est vrai qu’il faut tenir compte, dans ces attaques, de la rivalité des passions littéraires qui, vers 1830, furent portées
