Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/32

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déparé par une prodigeuse vanité. » (Hist, de la Littérature française, 1891.)

On voit que les jeunes ne poussent pas à la dernière limite le culte des grands hommes, et ne se laissent pas éblouir par Téclat des réputations les plus brillantes.

Enfin je citerai, pour la curiosité du fait, quelque lignes d’un roman, publié en 1893, l’Astre noir, par Léon Daudet. Je n’apprendrai rien ici à personne en rappelant que Léon Daudet est le fils d’Alphonse Daudet, et qu’il a été l’époux de Jeanne Hugo, petite fille de notre poète, mariage qui réunissait les deux plus grands noms de la littérature contemporaine et qui a abouti à un divorce. Mais fermons la parenthèse. L’action du roman se passe dans un petit État imaginaire, Séneste, État neutre, adjacent à la France et à l’Allemagne. Le héros en est Malauve, dramaturge et philo- sophe, l’astre noir. L’astre noir symbolise ces êtres excep- tionnels, ces monstres que l’humanité salue du nom, de génies. Lisons quelques pages de Léon Daudet ; d’abord elles en valent la peine pour elles mêmes — vous comprendrez ensuite, sans que j’aie besoin de vous souffler le mot, à qui s’applique cette description et quel est l’original de ce portrait.

« Malauve se rattachait aux génies de toutes les époques et de toutes les nations. Il était bien de la famille. Ces hommes-là sont, au milieu des races humaines, comme une race où les ressemblances sont plus fortes que nulle autre part, tellement, qu’un d’eux scruté et pris pour type, doit, pour les traits généraux, caractériser les autres. Entre Aristote, Léonard de Vinci et Gœthe, qui n’apercevrait d’immenses corrélations ? Curiosité répandue sur la nature entière, comme si la nature avait laissé son empreinte dans leur vastes cervelles, et que cette empreinte cherchât sans cesse à rejoindre la réalité. En eux, les arbres ont déposé leur floraisons complexes, les fleurs leurs parfums, les pierres leur symétrie. Les lents efforts de l’animalité pour prendre