Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/91

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Hérédia restera le poète des Trophées, il est le maître sonnettiste par excellence. Je sais aussi qu’il y a dans les Trophées autre choses que des sonnets, et j’admire, comme il convient, trois petits poèmes en terza rima, détachés du Romancero de Cid, et une petit épopée en rimes plates sur les Conquérants de l’or. Mais ce sont là en somme des accidents dans l’œuvre de Hérédia, et l’essentiel, le meilleur, le plus pur de sa gloire réside dans les cent vingt huit sonnets qui composent les Trophées.

Cent vingt huit sonnets, un seul volume en trente ans, de travail, cela semble peu. On dira peut-être que Hérédia a outrepassé le précepte d’Horace,


Nonumque prematur in annum.


Mais qu’importe la qyantité ? En matière de poésie , nous demandons le rare, l’exquis, le parfait. Si Hérédia nous le donne, même à petites doses, que pouvons-nous exiger de plus ? J’aime mieux un petit verre de nectar que des barriques de gros bleu. Et la gloire ne se mesure pas au poids des volumes publiés. Un seul sonnet a fait la réputation de Félix Arvers. Et si ce poète ne l’avait pas fait, toutes les œuvres qu’il a écrites d’ailleurs n’auraient pas sauvé son nom de l’oubli. À y bien réfléchir, ce n’est pas trop de trente ans de travail pour mûrir un chef d’ œuvre, pour distiller goutte à goutte la liqueur précieuse. On a beau dire que le temps ne fait rien à l’affaire. Assurément, et nous n’avons pas à tenir compte du travail qu’a coûté une œuvre littéraire. Nous n’avons qu’à nous demander tout d’abord si elle est bonne ou mauvaise. Le Manteau impérial de V. Hugo a été improvisé, et c’est un chef d’œuvre ; la Pucelle de Chapelain a été élaborée pendant vingt années et ce fut un avortement. Mais quand on se trouve en présence de ces cent vingt huit sonnets dont tous les mots, toutes les syllabes ont été pesés à loisir par un artiste supérieur, consciencieux au dernier point, quand on se rend