Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
101
ANNÉE 1889

ANNÉE 1889 10I

elle n’est pas finie et ne pourra jamais l’être, faute d’argent ; elle est d’un goût exquis. Il y a une petite chapelle attenante où sont exposées les reliques de St Sulpice ; c’est une chapelle de miracles. Il paraît que cette chapelle possède un grand nombre de vieilles tapisseries et de dentelles de valeur.

Il faut que j’écrive ici que j’ai changé de docteur. J’ai maintenant celui des Sourds-Muets ; M. de Lacharrière, qui est bien mieux ; d’ailleurs, c’est un royaliste. J’ai lu dans le salon d’attente une bien jolie comédie de Jean Richepin, Le flibus- tier. Tante Gabrielle avait été la voir jouer pendant que nous étions à Montpellier. C’est très simple ; beaucoup de couleur locale bretonne et les vers très bons.

Il y a en bas à table, une infirme qui habite ici depuis 12 ans ; tout le monde lui roule son fauteuil après les repas pour rentrer dans sa chambre. Hier, comme maman le lui roulait, elle lui a demandé si cela me ferait plaisir qu’elle me prête des livres. Tu comprends, mon cher journal, que j’en suis ravie ; cette fois, j’ai pris une histoire de l’Église, mais je lorgne Les Moines d’Occident, que je compte prendre la prochaine fois. Elle a vendu à maman des photographies du couvent, l’argent ser- vira à faire dire une messe pour une amie morte. Le père de cette infirme était Brésilien et quand l’impératrice du Brésil est venue à Paris, elle est allée La voir.

Ouf ! j’ai chaud ! c’est que je ne suis plus au jardin et voilà pourquoi je suis remontée ; pendant que j’écrivais, j’ai senti quelque chose de gênant à mon cou, j’y ai mis la main ; hor- reur ! j’ai poussé un vrai rugissement, une chenille ! Horrible, J’ai demandé à maman de me l’enlever, je trépignais presque. J’ai vu tout trouble ; quand elle a été par terre, sans prendre le temps de réfléchir, j’ai mis le pied dessus. Tout le temps après, je croyais en avoir encore. Enfin, une autre est tombée sur la table où j’écrivais, et sa chute a déterminé ma retraite ; natu- rellement, la première chose que j’ai faite en remontant, a été de demander à Caroline si je n’en avais pas d’autres.