Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
106
JOURNAL DE MARIE LENÉRU

106 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Dimanche 23 juin.

Je rentre d’une promenade au jardin des Plantes avec Mme L. qui a déjeuné ici et que pour la première et probable- ment la dernière fois de ma vie — je ne dis pas de la sienne — j’ai vue faire le signe de la croix. Il est vrai qu’elle n’aurait pas pu faire autrement.

En rentrant, je suis entrée en possession de la lettre dans laquelle Fernande me raconte la communion de Carle. Je n’ai pas besoin d’en parler puisque je garde ses lettres. Je dirai simplement que je crois que tout s’est passé d’une façon ravissante, intérieurement comme extérieurement. La postu- lante m’a aussi remis une image — attention charmante du docteur — de Suzanne Grasset que je n’ai jamais vue, j’en ai été très touchée.

Hier, ma leçon avec Mie Dubois. Je n’avance guère, mais c’est si fatigant ! J’ai commencé par considérer Mile Dubois comme la première venue ; depuis quelques jours, j’ai ouvert les yeux ; quelle belle tâche elle al Elle forme l’âme de ces pauvres sourds-muets ; ils sont si à plaindre ! mille fois plus que les aveugles. On jugera de leur dénuement par ces réponses d’un jeune sourd-muet élève de l’abbé Sicard, successeur de l’abbé de l’Épée et qui le surpassa. Je les ai lues chez M. de Lacharrière, ;

« Que pensiez-vous qu’était Dieu ? — Je ne m’en faisais au- cune idée, comme je voyais tout le monde lever les yeux lors- qu’ils priaient, je pensais que c’était le ciel. — Mais vous priiez, vous aussi, comment formuliez-vous vos prières ? — Je ne disais rien, je sentais. Par exemple j’avais envie que mes plantes poussent ; quand elles ne poussaient pas, j’étais triste, autrement, j’étais joyeux, c’étaient là toutes mes prières, j’étais dans les {énèbres. — Que pensiez-vous des personnes qui se regardaient en remuant les lèvres ? — Je pensais qu’elles émettaient des idées. — N’aviez-vous aucune idée du son ? — On m’avait fait comprendre qu’il y avait des personnes qui se