116 JOURNAL DE MARIE LENÉRU
trêmement tolérante, mais pas du tout pour les livres et quand je lis un roman anglais, pour moi, tous les anglicans devien- nent catholiques ; avec quelques restrictions, en n’y regardant pas de trop près, cela peut aller.
Après dîner. — Il pleut, je suis au bonheur ; j’aime tant la pluie et le vent. Je trouve qu’on se sent vivre lorsqu’il pleut ou qu’il vente. Je n’ai qu’une envie, c’est d’aller dans le jardin ; quelque chose m’ennuie pourtant, je ne verrai pas la lune que j’aime tant — quand elle n’est pas pleine — parce qu’elle me fait penser à la Divine Comédie. Il vient de surgir un rayon de soleil couchant, qui fait un effet superbe : il vient de donner au jardin un aspect d’automne.
Aujourd’hui j’ai beaucoup bavardé avec maman, nous par- lions du temps des B., j’aimerais bien les revoir, mais j’ai peur de retrouver Pierre, un peu comme Georges L. Je racon- tais à maman, qu’un jour, à la maison, nous jouions à cache- cache, Henriette nous cherchait, Pierre et moi étions cachés derrière le lit de la petite chambre, souvent nous entendions ouvrir et fermer les portes ; croyant que c’était Henriette et nous trompant souvent, cela m’avait fait penser à Napoléon à Waterloo qui, à chaque renfort qui arrivait, croyait que c’étaient les Français avec Grouchy, et, comme lui, à chaque bruit, nous criions : cette fois-ci, c’est Grouchy ! nous réservant le silence lorsque notre Grouchy apparut.
J’aime beaucoup me souvenir de ce temps-là et je crois qu’il m’arrivera souvent d’en parler dans ce journal : Les faits sont bien plus amusants à raconter lorsqu’il y a longtemps qu’ils sont accomplis.
Voilà donc encore des souvenirs : un jour, nous étions allées aux Blancs-Sablons, avec les B., les Biacabe, etc., etc. Je me rappelle que j’avais cherché des moules avec Georges, que tonton Albert avait marché à quatre pattes sur le bord de l’eau et que pour descendre les rochers qui menaient à la plage, chacun de ces messieurs s’était chargé d’une dame : c’était toujours Georges qui se chargeait de moi. Je crois que c’est le