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ANNÉE 1899

ANNÉE 1899 I9I

Quelle patience et quelle résignation pourrai-je avoir dans la vieillesse avec des souvenirs pareils ? Et je veux me souve- nir, je le veux, heure par heure, et voilà pourquoi je suis si implacable ici. Je tiens mes comptes avec la destinée, car si l’heure de la revanche arrivait, je veux la mesurer, point par point, à ce qu’elle doit venger.

Mardi 1° novembre.

Seule à la maison pour toute la journée. Qu’aurai-je fait ce soir ? Le cœur me bat de travail comprimé, je vais à mon bu- reau comme à un rendez-vous. Seulement devant une pareille coércition, devant un si évident : écris ou meurs, par pitié pour soi-même on ne peut faire que des chefs-d’œuvre.

J’ai le malheur d’être gaie, et l’on en conclut que tout est bien. J’ai apprivoisé ma vie et les autres sont braves. — Il y a des jours où je ne veux plus rire jamais, où je veux perdre ma jolie tournure dégagée et en prendre une lamentable, où je voudrais faire peur. Ce doit être une consolation de savoir porter son deuil.

13 novembre.

J’ai le vertige de la répétition. Retrouver chaque lendemain les phases identiques de la journée, en dehors de toute im- pression de tristesse et d’ennui, cela endort comme la répéti- tion des passes magnétiques.

Vendredi 17 novembre.

Que devenir ? Je n’ai pas une ombre de résignation et il est impossible d’imaginer un degré d’impatience de plus. Où est la loi des compensations à laquelle nous sommes si heureux de croire pour ne pas trop plaindre ou trop envier ?