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notre être déjà vécu, est en relation mathématique avec le jeu et la puissance de nos organes physiques.

J’étais isolée dans la minute présente, ne me reliant pas le soir à ce que j’étais le matin et la nuit mettait une mort entre un jour et l’autre. Peu à peu ma sensation du présent s’élargit, se combine mieux avec la veille et le lendemain. Je suis envi- ronnée de temps comme d’air et ma mémoire est meilleure. Et dans l’espace comme dans le temps, le point où je vis me pa- raît moins désagrégé. Je devine mieux la rue sous la fenêtre, la ville autour de moi.

Comment pourrais-je douter de la manière dont la vie est faite ? Avec mes organes, j’ai perdu mon âme, et je la retrouve avec eux.

Dein Leib und seine grosse Vernumjt, die sagt nicht Ich, aber thut Ich.

16 janvier.

L’étude de Mary Darmesteter sur les sœurs Brontë : « Le seul monde où je vis, c’est le monde que je porte en moi », et commentant Charlotte : « L’Éternel fait tomber sur nous un sommeil profond, où il nous ravit notre cœur de chair pour mettre à sa place une étoile, c’est-à-dire un monde nouveau charmant et inconnu. »

Elle est délicieusement intelligente cette femme-là.

On trouve Jane Eyre supérieur à Shirley. Je préfère Shirley que je trouve mieux.bâti et d’un charme qu’on ne s’explique presque pas. Mais voilà, Jane Eyre « soulève des questions », et c’est très dosé de romanesque, voire même de mélodrame, pour un goût français. Trop d’amour en littérature.

La vie est plus riche que cela, et c’est pourquoi je préfère les poètes aux romanciers.

17 janvier.

Ma vie ne m’occupe pas assez, de sorte que ma pensée ne marche pas toute seule, il faut que je la dirige comme une méditation.