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208 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

qui eût « mieux aimé avoir affaire à dix rois qu’à une reine » tant le scrupule royal lui semblait consciencieux à l’excès chez Victoria, ces gens-là voient moins de drôlerie dans le fémi- nisme,

Vendredi 6 avril.

Où voit-on l’âme ? Pas même dans les yeux. Le regard, l’ex- pression des yeux, ne vient pas de l’œil. Elle est très difficile cette devinette d’un journal : reconnaître l’œil d’une tête connue, et encore donne-t-on les paupières et le sourcil. Il suffit d’un peu de rouge et de blanc sur les joues, d’un peu de noir aux sourcils, pour n’avoir plus les mêmes yeux.

Lundi 0.

Il ne faut pas que je passe un autre hiver ici, En conscience, je ne peux pas me permettre le luxe de m’ennuyer à ce point-là. Je reste deux et trois jours sans voir personne. Affronter mes semblables est une telle fatigue, seulement un relai d’ennui. Malgré tout, c’est nécessaire et même en m’ennuyant cela me distrait.

Il y a, je crois, dans les rapports humains, un échange phy- sique d’électricité indispensable à la vie.

12 avril, jeudi saint.

Je suis lasse de faire semblant d’avoir quelque chose à faire ! Je me lève par préjugé, par imitation, car je ne me réveille à rien.

« Comment cela peut-il venir ainsi, sans avertissement ?. C’est aussi brutal qu’une fusillade. La mort sans phrases, la mort vivantel.… Nous n’aurons plus rien de ce que nous dési- rons, dussions-nous vivre cent ans !.

La « Mélancolie » que j’imagine désormais dépasse toute