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ce soit fini de l’éternelle pression sur les tempes. Oh ! l’allége- ment physique d’une vraie minute gaiel

Et jel’imaginais dans sa normalité saine. Je marcherais dans ce chemin à côté d’un homme élégant et spirituel comme moi. Il aimerait, comme moi, les vanités et les vérités de la vie… Soudain à l’horrible détour, je sers la merveille d’expression qu’il ignore. Double rire, nos grandes tailles se secouent par le chemin comme un balancé de quadrille. Il dit : Comme vous riez clair et juste, vous avez le rire persuasif. — Et je réponds : C’est qu’il n’y a rien de meilleur, de plus intelligent, de plus merveilleux que le rire !

Lundi 28 mai,

On parlait des sensations tout à fait instinctives, animales, éprouvées devant les œuvres d’art. — Je n’ai pleuré qu’une fois au théâtre, au lever du rideau du Médecin malgré lui ! C’était ma première rencontre — sur la scène — avec Molière. Ce sont tous ces costumes Louis XIV, l’idée je pense, que tout cela était fini, vécu depuis longtemps, et devait sa réappari- tion, sa seule immortalité concrète au savoir-faire d’un comé- dien. — J’aieu, à ma réelle surprise, le malaise des larmes. J’ai immédiatement senti la dignité de Molière, il a commencé par m’imposer.

C’était en 93, je crois.

29.

Mon anémie morale dépasse toutes les bornes. Chez moi, je la combattrais par le thé. Mais le grand secours est plus sain : on regarde sa montre et l’on part au pas accéléré dans une longue allée toute droite. Le premier quart d’heure, la tenta- tion de stopper vous prend à chaque dernier arbre. Au bout d’une demi-heure, l’état d’âme commence à évoluer. On res- pire de toutes ses narines, la fatigue disparaît, on s’allège