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216 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

extraordinairement et l’on espère avec violence. Le ferme pro- pos croît de minute en minute, la volonté s’étire et montre toutes ses dents. Les déterminations se succèdent, précises, in- telligentes et l’heure sonnée on rentre souple, reposée, avec des yeux qui dévorent tout et une bienveillance charmante pour ceux dont on n’a pas besoin.

Quand on ne peut pas se distraire par le bonheur, il faut se mouvoir. Le mouvement est ce qui ressemble le plus à la joie.

30 ma.

J’ai fait venir tous les Barrès, Il aime ceux que j’aime, l’Im- pératrice d’Autriche et Marie Bashkirtseff, Mais ses livres sont trop jeunes ; ils n’ont pas « la sincérité de la mort ». Barrès vaudrait de connaître les vrais contretemps, il ne s’est pas encore assez ennuyé. Son mépris l’amuse trop.

Je sais que mon abus intensif de la solitude n’est pas la con- dition la meilleure pour bien mépriser les autres, mais j’ai besoin des Barbares.

C’est toujours la même histoire : « Dans le monde tous les retours sont pour le couvent ; au couvent tous les retours sont pour le monde, » J’ai besoin des autres, je ne voudrais rien re- trancher de ce qui peut diversifier l’existence. Je ne sais pas ce que j’aime le mieux des vanités ou des : vérités, mais il faut aimer les êtres au moins comme nous aimons les choses. On ne peut nier qu’ils ajoutent à notre sensation de la vie et l’orgueil de Platon est moins dupe que l’orgueil de Diogène.

Enfin je tiens aux autres parce que j’ai peur, peur du néant qui n’est pas plus au delà de la mort, que l’éternité n’est au delà du temps.

Vendredi 17 juin.

Si l’on pouvait vaincre ce que chaque mouvement, même déterminé, contient de nonchalance, si l’on pouvait délester