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244 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

pourtant, j’ai toujours aimé non peut-être la discussion, mais l’analyse, aussi nos lettres telles quelles, m’ont toujours fait plaisir.

Et vous aussi vouscroyez au parti-pris ! En ce quimeregarde,

ma petite amie, vous êtes superbel Comment c’est moi qui me donne la mélancolie de changer, et cela évidemment par parti- pris ? Je vous fais remarquer que je ne vous en accusais pas.

Je n’ai pas dit que je ne lirais pas vos livres et c’est pour en connaître beaucoup que le courage à les reprendre me manque en ce moment. Songez que je leur ai donné dix ans d’avance sur les autres, et je leur dois cette justice qu’ils m’ont con- duite à ces autres aussi prévenue que possible contre leur « parti-pris » et leur « mauvaise foi ». Mettez-vous bien dans la tête qu’en apologie j’ai lu tout ce qu’on peut lire, et ne croyez pas sur parole, comme nous le faisons tous, qu’en dehors de la foi il n’y ait qu’hostilité contre elle. Les agitations de la polé- mique disparaissent au contraire chez des chercheurs qui n’ont rien à défendre et je vous avoue que ce calme m’a été une pre- mière surprise et la seconde a été cette rigueur de méthode à laquelle vous ne tenez pas, et qui exige en effet, l’exercice d’un __ organe assez peu connu ; la conscience intellectuelle,

Vous croyez avoir tout terminé quand vous avez dit ! « Je suis sûre », après vous être édifiée auprès de ceux qui disaient également : je suis sûr.

Quand on demandait à Robespierre des preuves des com- plots de ses victimes, il répondait : des preuves ? je n’en ai pas. Mais j’ai la conviction morale.

Ce que je suis lasse d’être ramenée à cette conviction morale, la foi de Robespierre !

— Discuter ? Osez lire d’abord tout ce à quoi vous prétendez répondre : connaissez l’objection estimable et, par exemple, n’ayez pas peur de Spinoza, Kant, Spencer et même Renan.

Je vous jure que je n’étais pas une bête ; eh bien ! il m’a fallu apprendre des autres la véritable, simple, élémentaire critique. Il y a des habitudes d’esprit que la vie peut n’être pas assez longue pour vous donner. 4