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ANNÉE 1901

ANNÉE 1907 245

Hier, un soir comme je n’en connaissais pas, le jour déjà très baissé, une #ranslucidité, une qualité d’atmosphère, un soir comme un matin.

Avant-hier, un gris si pur, si égal, un tel équilibre de ciel, de côtes et d’eau, une telle absolue sérénité grise qu’on aurait dit une autre planète où serait ainsi le bleu de la terre, où le ra- dieux serait en gris.

Un certain degré de complaisance et de serviabilité tient du commérage…

Toi, toute ta vie tu me feras le plaisir d’être une agitée, ce qui ne prohibe nullement le profond recueillement de l’atti- tude et des apparences de la vie.

Ne pas se laisser prendre au dédain commode de l’inacces- sible, à la paresse qui n’essaie pas de toutes les velléités, à la béate incurie du parcage social.

Il n’y a pas une possibilité dont je ne ressente en moi la cer- titude. Comme Bussy d’Amboise, je n’ai jamais lu d’une ac- tion dont je ne me sois sentie capable.

Jeudi 15 août.

Je me rappelle qu’au Villars de Lans, le 15 août 1897, à l’époque où je priais sans livre et sans écart toute une grand’- messe durant, je me rappelle m’être ajournée de 15 août en 15 août, et je prévoyais : enfin dans dix ans.

Eh bien, mon Dieu, je recommence. Dans dix ans… Je serai encore jeune, en somme, et d’ailleurs j’aurai si peu aimé la jeunesse !

Je ne l’aime même plus chez les autres, cet âge ingrat moral, cette enfance qui dure trop.

J’ai placé ma vie de 30 à 50 ans. Mais ces vingt ans, il me les faut. Moyennant quoi j’accepte le passé et je l’aime de m’avoir faite ce que je suis, exceptionnelle.

J’emploie le mot au sens exact, sans aucune idée de supé- riorité.