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250 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Puis c’est tante Alice, pendant que nous, les petites filles, nous tirions comme nous pouvions du whist de tonton Albert. Je suis grondée comme inférieure à la situation parce que je l’écoute qui commence en murmure : « Guide au bord ta na- celle, 6 fille du pêcheur… » de son contralto simple et chaud comme une voix de peuple et maman, toujours en murmure, avec son bel organe savant, prend la tierce et continue.

Et cet Ave Maria de Schubert que je m’arrangeais pour piano, comme les échos d’Allemagne d’ailleurs. Et maman qui s’était tant fait prier, un jour qu’elle m’essayait une robe, pour m’indiquer vaguement sans paroles, avec des arrêts conti- nuels et ma peur qu’elle ne finisse pas, le célèbre Adiew que j’étais ennuyée de ne pas connaître. Je ne l’ai entendu qu’une autre fois, joué si nerveusement, si ridiculement par ma chère amie Me LI.

Et rien, rien de Wagner, sauf une Marche de Lohengrin. Maman en chantait déjà pourtant. C’est peut-être une de ces choses sans nom qui me reviennent comme si on les jouait à côté de moi. Qu’est-ce qui les amène ?

30 septembre.

C’est au réveil de la syncope qu’on sait seulement ce qui vous est arrivé, qu’on a l’émotion de la mort approchée. Com- ment faisons-nous du mot de résurrection un synonyme de joie ? Quel poids de mélancolie il faudrait soulever. Le dé- couragement d’avoir trop à réparer.

Vizac, 8 octobre.

À maman (trop paresseuse pour écrire ici je n’ai que des lettres pour me jalonner). C’est effrayant ce qu’il en coûte pour mourir. Cela fait pardonner bien des choses à Schopenhauer, lequel prétend que la vie est une affaire qui ne couvre pas ses frais.