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252 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

des chefs civils, à ceux qui combattent sur les lieux : « Tenez le plus longtemps possible, évitez les pertes d’hommes et ne vous repliez qu’au dernier moment. »

Quand abandonnerons-nous cette prétention d’être plus compétents dans les affaires des autres qu’ils ne le sont eux- mêmes ?

Le conseil est un admirable stratagème pour obliger un autre à s’occuper volontiers de ce qui ne l’intéresse pas, dans tous les sens du mot.

20 seplembre.

J’ai vu des vaches, huit ou dix vaches immobiles, qui atten- “daient à une barrière. Derrière elles, sur le champ en plateau, il tombait un grand nuage roux crevant de soleil. Pour la pre- mière fois j’ai compris la magnificence des vaches. Les tem- poraux des oreilles, le diadème isiaque de ces cornes débordées de gloires, c’était superbe, étrange, impressionnant, c’était la vache de l’Inde, la vache dieu,

Brest, Toussaint.

Rencontré ce matin le cortège allant au cimetière de Ker- fautras — service des marins morts en mer. Des fleurs magni- fiques, celles des Russes, un bouquet de millionnaire. Je n’en- tendais pas la marche funèbre de Chopin, mais elle les obligeait à marcher si lentement que c’était vraiment très beau, et cette présence des uniformes russes, qu’on s’habitue à voir dans toutes les occasions de démonstrations fraternelles, élar- gissait par le monde l’idée un peu étroite, un peu familiale pour nous, des traditions maritimes. F

Oh ! oui, je suis fille de marine, je le suis de toutes mes fibres, de toutes mes cellules, et je rends grâce au Destin de m’avoir fait sortir, moi si dégoûtée, qui éprouve le.besoin de tout choisir, de tout comparer, de tout préférer, de m’avoir tirée d’une caste que je ne veuille pas renier.