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260 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Mais la sagesse le gâte, il en revient trop à l’ancien « conten- tement ». Sur le passé, il a des stratagèmes, des hypocrisies de résignation. Que de peine il se donne pour être heureux ! Lui, si spirituel, est-ce qu’il croit moins s’agiter que ces ambitieux qu’il désapprouve ? C’est peut-être un homme au-dessus de son bonheur et qui cherche des excuses à sa satisfaction.

Non, non, je ne veux pas plus me résigner au passé qu’au présent. Je « n’envie le passé de personne », mais je m’envie dans tel ou tel passé, celui de Saint-Just ou de Marie-Antoi- nette, par exemple, À 27 ans, j’aurais bien acheté de Thermi- dor la Convention, le Comité de salut public et les missions.

Et quand on fut à Schœnbrün Madame l’Archiduchesse, et Madame la Dauphine à Trianon, et même aux Tuileries et même au Logographe la reine de France, on peut mourir au nez de la plus privilégiée des tricoteuses !

Mirabeau disait : « J’aime à croire qu’elle ne voudrait pas de la vie sans sa couronne ? » Pourquoi me voudriez-vous d’as- pirations plus modérées ? C’est alors qu’il y aurait une diffé- rence, et gravement morale, entre une archiduchesse d’Au- triche et moi.

3 juin.

Robert de la Sizeranne, que j’aime tant, est-il bien dans le vrai, dans son article sur les portraits de femmes, en sacri- fiant si rationnellement la ressemblance à la vie ? D’abord qu’est-ce que la vie ? Cela ne tournerait-il pas à une conven- tion d’école ? Même à l’art, n’importe-t-il pas moins de faire un tableau « vivant » que de voir la réalité, et de la rendre, elle, et pas une autre.

Vous voulez faïre un chêne ressemblant, une lumière res- semblante, et pourquoi pas aussi cette femme ? Vous dites qu’il y a les photographes. C’est, en effet, la seule beauté de la photographie de restituer quelquefois — pas toujours — tout le caractère d’un visage, et l’on s’écrie alors : Que c’est vivant !