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202 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

11 août,

À Mme D… : Mais est-ce notre faute si l’on ne peut se déve- lopper qu’au bénéfice de l’analyse ? Si chaque fois que nous voulons une perfection il faut d’abord avoir affaire au sens critique ? Et puisque toute notre vie nous devons être les défenseurs de l’intelligence, nous aurions le droit qu’on nous montre du côté adversaire Les efforts et les progrès fournis en dehors de la plus grande conscience.

Je me rappelle que Mme D… me disait : Pour le moment mon enthousiasme est en disponibilité,

Certainement une maladie organique eût mieux valu. Peut- être qu’elle m’aurait abîmée davantage, mais en laissant la vie intacte autour de moi.

À quoi bon en parler ? Je ne m’en intéresserai pas plus à moi-même, mais passionnément je veux sauver la femme. Les besoins de tendresse, de non-solitude guettent l’avenir.

IT septembre.

Pour moi-même je suis une absente, je me souviens de moi et avec effort, Je m’aperçois maintenant que ce qui nous tient à la vie, nous fait habiter notre Corps, nous équilibre dans l’espace et dans le temps, nous fait respirer notre cons- cience dans les choses présentes, ce sont les sensations de luxe. C’est-à-dire que les sens pour la conversation, comme les défi- nit Malebranche, sont insuffisants. C’est la vision de luxe, la vue large et profonde qui nous installe dans la vie, dans nous-même, Je me reconnais à la dureté d’une silhouette, À la pureté d’une ligne de côte. Et chaque progrès des yeux me