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268 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

an. Pourquoi enlever l’héroïsme aux mourants, sous prétexte de nous accorder un soulagement ?

« Une gastralgie d’entrailles. » Pas de fièvre, mais épuise- ment, et cela d’une promptitude qui déroute les six médecins de la Loire et les trois médecins de Ste-Croix. Maïs mourir ainsi… si jeune, avec un tel avenir, chez ces Espagnols quand tous les Français sont partis ! Je garderai toujours la révolte de.cette mort.

Ses camarades Fournier, Courejolles sont aujourd’hui les chefs. La mort des jeunes gens est plus affreuse que celle des jeunes femmes, ils perdent tellement plus !

Quel est ce consul qui le veille et qui le pleure sans même le connaître assez pour le savoir marié ? M. Chassériau a con- tinué d’écrire à maman — veuve à 21 ans —de longues lettres, et nous avons les portraits de toute sa famille. Un sous-officier aussi ne l’a pas quitté — Adrien Harrisson — et l’infirmier fut parfait. « Il a été admirablement soigné, vous pouvez en être sûr, M. l’Amiral, ce pauvre jeune homme était sympathique à tous ceux qui l’approchaient. »

Vraiment les Espagnols ont été parfaits, Le gouverneur Ximènès de Sandoval écrit une lettre émue à grand-père, et lui envoie l’Epoca, premier journal de Madrid, où il a fait insérer une note sur les regrets laissés par l’officier français.

Et puis toute la lugubre négociation. — Les prêtres de Té-

_ nériffe ne laissaient pas exhumer, « tout se passait comme sous Philippe V, écrit le consul, et la translation était sans précé- dent depuis 1806 ». Il fallut d’abord voir l’évêque, ensuite l’au- torité civile réunit une junte, et ceux-ci ne pouvaient rien. Alors un décret de Madrid qui s’en fut à la signature royale, et cela ne suffisant pas, un Ordre Regal enfin — manu Propria mando. — Le cercueil attendit longtemps dans le caveau d’un grand d’Espagne, les nobles ayant seuls des sépultures parti- culières au cimetière de Ténériffe.

Ténériffe ! Voici ce que je trouve dans le journal d’aspirant de mon père au timbre de la Guerrière. ie

« Arrivé aujourd’hui vers midi à Ténériffe. Ici j’ai fermé