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352 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

vraiment rien de plus humain dans l’immortalité imperson- nelle que toutes les « joies ineffables » et philosophiques de la « connaissance » et de la contemplation, néant pour néant, je me résigne au plus proche, au plus chaud encore de la présence humaine, que je m’endorme au moins, dans mes souvenirs et dans mes angoisses, dans l’intimité des choses terrestres, et que jamais, ni Dieu, ni Infini ne me réveille à l’oubli de ce qui fut moi-même, n’interpose une extase entre ma conscience humaine et moi.

Hélas ! ce n’est pas encore la sagesse… et voilà une bien médiocre manière d’exprimer une gratitude si réelle, que peut- être cet aveu, ce regret de nous-mêmes, auquel vous donnerez de me survivre, sera pour moi une de ces revanches qui cal- ment et endorment au moment de la nuit où l’on n’a pas som- meil. :

17 avril.

Je viens d’être empoignée par un livre à ne pouvoir m’en détacher, chose inimaginable car je prends, hélas ! et je laisse les chefs-d’œuvre comme un éventail. C’est bien la peine de pouvoir juger au carat la valeur d’une œuvre pour ne se pas- sionner que là où le talent est évidemment absent… Ce sont les lettres du lieutenant-colonel Moll à sa fiancée qui m’ont im- pressionnée, soulevée, enthousiasmée jusqu’à l’état intérieur du sanglot. Enfin voilà la vie, voilà l’amour et leurs vrais visages. Voilà l’homme tel qu’on doit l’aimer, duquel on peut recevoir l’amour, et non cette pauvre chose livresque et dra- matique, tiraillée, rabâchée dans nos romans, nos pièces et nos poèmes. Oh ! la maîtresse et l’amant parisiens… Y a-t-il un de nous, encore hors du jeu, qui soit tenté de recommencer les gestes et les simulacres ? Mais cela. que c’est simple dans son emphase maladroite et si peu risible. On est saisi par la vérité, le déblaiement du factice comme au chevet d’un mourant.

Voilà l’amour, besoin humain. Ce n’est pas l’amour-luxe, c’est l’amour nécessaire d’un homme, indiscutable comme le