374 JOURNAL DE MARIE LENÉRU
d’un métier, sont au moins habitués à acquérir des notions nouvelles. Les femmes, non, et quoi qu’on dise d’esprit et de Cœur — quel pléonasme ! — elles sentent très peu, mais surtout elles ont trop peur de déplaire. C’est un fait, leur rôle d’hé- roïne leur plaît, et nous aurons bien de la peine à les en faire démordre. Certes, aux hommes aussi le rôle plaît, mais eux, ce n’est pas avec la peau des autres qu’ils paient. Si j’avais à m’en prendre à la guerre, comme j’espère bien que cela m’arrivera un jour, je dirais : Soyons des héros, chacun pour soi, ñe nous mélons pas de l’héroïsme des autres, de l’héroïsme du plus grand nombre. Soyons-le assez décidément pour laisser de côté toute cette organisation d’héroïsme en commun, d’héroïsme ” obligatoire, d’héroïsme pour tous, pour tous ceux qui ne l’ont pas demandé ! Un officier me disait avoir dû envoyer des hom- mes pour réparer les fils de fer. L’un d’eux n’avait pas bien envie d’y aller, c’est juste celui-là qui a été tué. « Cela m’a été très désagréable » disait son officier. Je ne sais pourquoi je pense plus tendrement à ce pauvre soldat qu’à bien des héros.
4 octobre.
Décidément, sur la guerre, je ne peux plus lire que des sol- dats ou des pacifistes, De tous les autres, fût-ce Jacques Blan- che, si ému, fût-ce Barrès si dévoué, j’attends toujours les paroles qui ne viendront jamais. C’est comme lorsque je lisais les apologistes chrétiens : oui, admirablement oui, tout cela, si Dieu est, Avant tout, s’il vous plaît, assurons-nous de Dieu. Et maintenant, vous les éloquents, les émus, les élégiaques, occu- Pons-nous un peu de la « fatalité » de la guerre. Car enfin, quel rôle jouez-vous, 6 dilettantes de l’héroïsme et de la mort, si d’autres, dont vous ne serez pas, prennent soin, dès aujour-
. d’hui, d’empêcher le retour de vos fatalités, de vos lois de l’histoire ? — Cette passivité de l’intelligence devant la guerre, la manière dont auront réagi nos artistes, cette exploitation pure et simple du fait par la littérature, est ce qui m’aura le plus démontré, l’humanum Paucis vivit genus.
