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tion béate. Chacun fait son devoir ici d’une manière adaptée à son tempérament et c’est tout. L’effort est à peu près constant dans toutes les natures. » (Lucien Lobbé.)

« J’ai aussi la hantise des premiers tués que j’ai vus à mes pieds. Dans la tempête on y prend moins garde, mais quand on y réfléchit avec calme on en saisit toute l’horreur, La mort, telle que la conçoivent les philosophes, la libération de l’âme, c’est sublime ; mais une tête trouée par une balle, une cervelle en bouillie, un cadavre inondant de sang un boyau, un homme sans face râlant pendant deux jours. » (Lucien Lobbé.)

À Puech : J’ai lu dans je ne sais quelle église, quel sanctuaire que je visitais, cètte inscription : « Il n’y a pas un lieu plus saint par toute la terre. » Je vois cet exergue flamboyer sur Verdun.

A Puech : Nous sommes bouleversés par Verdun d’un espoir inébranlable. Mais nous retrouvons toute la douleur des pre- miers jours ; un peu trop oubliée peut-être. Ah ! faut-il que le droit de vivre en France nous ait coûté ce prix-là ! La vie me paraît maintenant en moi, et en tous ceux qui ne sont pas les vôtres, un bien mal acquis. En revoyant la neige, le matin on pense : « Oh ! Verdun. » Vous parlez de ceux qui sont tombés. Je ne crois pas qu’une femme au milieu des siens, vivant auprès d’eux, ne sente pas à quel point son cœur est plus près des autres. Ah ! je plains ceux qui ne sont pas au front. Mais on voudrait bien faire aussi que les autres en reviennent…

Lundi, 7 mars. 15m jour de la bataille.

À Mab… : Quand il m’a dit au revoir, dans le lourd attirail du départ, et qu’on m’a dit de l’embrasser, il est arrivé si sé- rieux, si religieux que j’en étais toute impressionnée. Quelle responsabilité nous avons, chère amie, d’être des personnes à demi-célestes pour ces petits héros sans mère que la France nous confie. En regardant l’affreux bracelet d’identité je pensais qu’avec leurs camarades et leurs chefs, si prêts à dispa-