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390 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

A Puech : Je n’aime pas ce que vous me dites de mes lettres. Les lettres, cela se publie après la mort et personne, moins que moi, n’écrira pour la postérité. Je. hausse les épaules en pen- sant aux écrivains qui travaillent pour elle. Je ne veux avoir de talent que pour mes contemporains, pour ceux-là seuls qui me sont destinés, dont je peux croiser le regard ct sentir battre le cœur. Non, je ne crois décidément pas à la postérité. Pas plus à ses sanctions qu’aux satisfactions qu’on en reçoit ! La posté— : rité est morte pour moi qui serai morte pour elle.

À Mne Maeterlinck : Je ne me sépare de vous que dans votre désespoir de l’action possible. Je crois la guerre, la guerre fa- tale comme tant de choses qui ont été fatales au monde, un faux épouvantail. Pensons ce que nous voudrons de la nature aumaine et de la nature des masses, peu importel Ce n’est pas à elles que nous nous heurterons, l’obstacle n’est pas si gran- diose. Comme vous le dites et le répétez avec toute la force qu’il fallait, les masses « ont obéi sous peine de mort ». Mais ce n’est pas l’obéissance qu’il faut changer — nous la retrouve- rons pour nous. Ceux qu’on a fait obéir à un ordre de guerre obéiront fort bien à un ordre de paix. C’est ici un duel entre dirigeants, entre minorités dirigeantes, comme toujours d’ail- leurs, entre ces minorités par lesquelles vit le genre humain. Ce que quelques hommes ont voulu, quelques autres peuvent, admirablement et sans la moindre utopie, ne plus le vouloir. Tout dépend de la force, de l’autorité, de la mortelle insistance de leur veéo… Peut-êtrene faut-il même pas s’exagérerla tâche. ’Gardons-nous de mysticiser la politique. Attendez le jour où les intellectuels — à la suite de quelques-uns d’entre eux évi- « demment plus hardis — attendez le jour où les intellectuels oseront s’en : mêler. C’est la seule éventualité que le prince de -Bulow redoutait-à l’égard du socialisme. « Le goût et la mode n’y Sont pas », disait tout bonnement un de nos ministres des Affaires étrangères. Un beau jour on enfoncera une porte ’ouverte, peut-être est-elle déjà toute enfoncée, mais. personne n’oserait en répandre la nouvelle. Tout ici est d’une telle jocris-