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serie ; ce serait vaudevillesque, si ce n’était à en mourir de chagrin.

Oh, madame, je vous l’avoue, pour moi, en dehors de « l’obligation à la guerre » il ne resterait pas grand’chose de la guerre. Le goût du risque est individuel et se satisfait indivi- duellement. Il n’a pas besoin de la mobilisation générale !

À Alice L. : Comme je voudrais que tu fasses un sort à cette grande valeur qui est en toi ! Car il ne suffit pas d’être un esprit de premier ordre, d’avoir une culture superbe et assez de talent pour trouver l’expression de l’un et de l’autre. La vraie diffi- culté de nos carrières de lettres est qu’il ne suffit pas d’être de force à les remplir, il faut encore les inventer. Je me rappelle, dès le début, je sentais bien de quoi je serais capable, mais il me semblait que je ne trouverais jamais un sujet de pièce ou de roman. J’enviais les savants qui sont assurés de ne pas man- quer de travail pour le lendemain. Au passage d’une pièce à une autre, j’ai encore cette impression : « il n’y a plus de sujet pour moi ». Je sais maintenant que c’est une illusion, on trouve les sujets de la même manière qu’on les traite, en les voulant, en cherchant, en s’obstinant. Si ça ne vient pas aujourd’hui, ça viendra demain. Peut-être ne se donne-t-on pas du talent, mais à coup sûr, on se donne sa carrière. Il ne faut même pas s’en exagérer l’effort, à la manière de Flaubert, bien roman- tique. C’est toujours de nos pareils que nous devons triompher, en esprit, en travail, en talent : la concurrence n’est pas for- midable !

A Mad. Mardrus : Il faut se garder, je crois, de faire un mé- rite à un artiste de sentir comme tout le monde dans une épreuve commune, alors que dans la commune épreuve de la vie personnelle, ils savent si bien sentir plus que tout le monde, avec uné acuité qu’on appelle « originale », mais qui est pour moi la grande épreuve de degré et de qualité, la vie réelle de l’émotion. :

A Rachilde : Ces criminels étourneaux parlent des « passions humaines ». Mais où sont les passions humaines dans cette