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392 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

course à l’héroïsme et au sacrifice universel ? Et la conclusion sacrilège qu’ils tirent de ce déchirant martyre volontaire des peuples, c’est que « l’homme est un loup pour l’homme » !

27 novembre.

À M. de F… : Pour la paix, ma pauvre amie, je me demande comment il faut s’exprimer pour arriver à se faire comprendre, et je serais bien révoltée d’une pareille méconnaissance du pacifisme, de la guerre et des hommes devant la guerre, chez un prélat chrétien, si je ne savais que sa mission en ce monde est autre que celle de penser. Le pacifisme n’a jamais été dé- sarmer devant l’agresseur, ce serait le suicide, mais désarmer l’agresseur. Quant à parler des « passions humaines » dans une guerre comme la nôtre, c’est un véritable crime de lèse- héroïsme. Où sont les passions humaines dans ce martyre vo- lontaire de tous les peuples ? La guerre par raison d’Etat ne sert aucune passion humaine, elle sert une idée fausse. Voilà pourquoi, le jour où les pacifistes seront revenus du champ de bataille — s’il en revient — nous aurons besoin, à côté de l’effort militaire, toujours nécessaire, mais non suffisant — cette guerre l’aura prouvé à l’Allemagne — nous aurons un furieux besoin de leur effort et de leur dévouement à la paix, si notre victoire ne doit pas être annulée par la guerre qui re- viendra dans cinquante ans.

28 novembre.

Hélas, je leur écris toujours la même chose et pourtant je le recopie ici avec un grand effort de patience. A force de redire la même chose, j’espère trouver un jour la formule claire, sim- ple, la formule qui porte enfin, qui porte sur tous.

À tante Eugénie : On dit l’armée anglaise splendide et, enfin, au point. Elle le prouve déjà. Mais c’est un genre de satisfac— : tion qui ne va pas sans un grondement de colère au fond, sans un terrible haussement d’épaules. Non, je ne suis pas de ceux que les prochaines offensives épanouissent. Qu’on dise « il le faut » et qu’on se taise. On ne doit pas exulter de pareilles vic-