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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

JAN LL MARIL LIENLERKRU

et on nous a cité cette parole de l’Esprit-Saint : « Si les hommes pensaient toujours à leurs fins dernières, ils ne pécheraient jamais. » En effet, il n’est pas une pensée plus effrayante que celle-là, et c’est en y pensant que je me rends à mon devoir qui est de faire ma rédaction. Il faut donc que je quitte ce cher journal. J’ai bien peur d’en être séparée pour longtemps.

Lundi 28 novembre.

Maman a lu mon journal de jeudi ; je l’ai bien regretté, parce qu’elle s’est moquée de moi. Pourtant, je n’ai pas du tout changé d’avis pour la question des ordres, mais j’ai complète- ment changé sur ma façon d’envisager la religion ; tandis qu’avant, me fiant d’un peu de mérite pour gagner le ciel, m’appuyant sur la grande miséricorde de Dieu, il me semblait qu’il était absolument impossible d’aller en enfer, maintenant j’ai compris qu’il fallait travailler, travailler et persévérer, qu’il ne fallait pas se contenter du bien, qu’il fallait rechercher le mieux.

Maman me disait l’autre jour que les femmes mariées avaient bien plus de mérite que les religieuses. Jene comprends pas cela. Comment, voilà des filles qui quittent leurs parents, leurs amis, tout ce qu’elles ont aimé, qui renoncent aux plai- sirs, qui ne mènent qu’une vie de travail, qui font des chrétiens dans tous les pays, qui travaillent sans relâche pour la gloire de Dieu au péril même de leur vie ! je ne peux pas comprendre qu’une femme qui a son foyer, qui reste chez elle, se repose, sises enfants lui donnent de la peine à élever elle en jouit plus tard ! Non, je ne peux pas comprendre cela. Naturellement, je ne parle pas des religieuses cloîtrées ; elles ont tous les bonheurs et je trouve même dans plusieurs des entrées dans ces cloîtres une certaine nuance d’égoïsme et une certaine carmélite dont Tante nous a parlé hier est à mon avis une lâche, une ingrate, et une égoïste,