Page:Journal asiatique, série 10, tome 18.djvu/76

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les Turcs, par exemple ἰλίšμε, δωκάνμα, pour dire : « gare ! ne me touche pas, ne t’y frotte pas » ; βοῦρ πατλασỳν « frappe, qu’il crève=sus au misérable ! pas de quartier ! » Enfin l’emploi du même mot turc variera souvent avec les localités, selon la prédominance de élément turc ou grec : les nuances se multiplient ici presque à l’infini, et il serait aussi inutile que fastidieux de vouloir les cataloguer ; mais un fait général qu’on ne saurait assez constater, c’est que le grec d’Andrinople est incomparablement plus émaillé de mots turcs que celui de Constantinople, — la capitale cependant du monde ottoman depuis quatre siècles et demi !

La chose peut paraître de prime abord étrange ; mais elle s’explique facilement par un examen rapide de la situation géographique et ethnographique et des destinées très diverses de ces deux grandes villes. Andrinople fut, depuis 1362 — deux ans après avoir été enlevée aux Grecs par Amurat Ier — jusqu’à la prise de Constantinople, la capitale de l’empire ottoman : ce qui ne put que favoriser l’introduction, dans l’idiome grec, parlé chez elle, de toute une terminologie administrative, militaire, financière et, par-dessus lout, pratique, facilitant les rapports journaliers de deux grands peuples. Le siège du sultanat une fois déplacé, on pouvait s’attendre à voir les Grecs revenir quelque peu à la pureté relative de leur idiome ; il n’en fut rien : l’élan était donné ; Andrinople était et elle resta un grand centre ottoman. Son farouche isolement au sein d’une plaine extrêmement fertile et giboyeuse, mais à population très clairsemée, isolement dont les sultans de Constantinople continnèrent à venir jouir durant de longues années[1], la longueur et la difliculté des voies de communi-

  1. En plein hiver de 1670, le marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV anprès de Mohammed IV, doit venir trouver le sultan à Andrinople. La première rencontre eut lien dans un décor rien moins qu’ofliciel. « Nos voyageurs, dit M. Albert Vandal, virent passer devanteux, comme en un tour-