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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

Tandis que je cherche à traverser la foule, on m’enlève de la poche un mouchoir auquel j’attache un bien plus grand prix que ce que le voleur pourra en retirer, et je le payerais volontiers pour sa dextérité, si je pouvais le retrouver. Nous attendons de onze heures à quatre heures. Il paraît que Sa Majesté a été escortée par la milice de Versailles jusqu’au Point-du-Jour, où elle est entrée entre la double rangée de la milice parisienne, qui s’étend de là à l’Hôtel de Ville. Notre ami La Fayette, élu général de la milice parisienne, précède son Souverain. On avance lentement, aux cris de : « Vive la nation ! » Chaque ligne se compose de trois rangs ; c’est donc sur six rangs que la milice couvre cette distance. L’Assemblée nationale marche sans ordre dans le cortège. La garde royale à cheval, quelques gardes du corps, et toute la suite du roi ont les cocardes de la ville, rouge et bleu. Le cortège est magnifique à tous les points de vue. Dès qu’il est terminé, je vais dîner chez le traiteur, d’un bifteck et d’une bouteille de bordeaux. Arrive un député de Bretagne que j’ai rencontré hier à une table d’hôte à Versailles. Nous le faisons asseoir à notre petite table. Il me dit qu’hier le roi a envoyé à l’Assemblée une lettre de rappel pour M. Necker ; que les ministres ont tous démissionné, sauf M. de Breteuil qui déclare n’avoir jamais accepté ; que le comte d’Artois, le duc et la duchesse de Polignac, M. de Vaudreuil, bref, tout le comité Polignac, ont décampé, désespérés, la nuit dernière. Je lui dis que les voyages peuvent être utiles au comte d’Artois, et qu’il aurait raison de visiter des pays étrangers. Nous nous entretenons du commerce des îles, et je lui explique les principes sur lesquels je crois que leur système devrait être basé. Il désire avoir une autre conversation avec moi sur le même sujet. Je lui dis que je vais à Londres. Il me demande mon adresse pour m’écrire. Je promets de la lui donner. Comme il me parle de mon amie, la comtesse de Flahaut, je lui dis diverses vérités qu’il pourra être utile de lui faire connaître