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VISIONS DE L’INDE

déformées par le poids des bijoux. Je me laisse aller à payer des prix ridicules. Ce marchand ne vend pas, il incante ; ses yeux ont cette lueur magnétique, un peu mouillée, qui séjourne dans les prunelles des reptiles ; mais le nez est noble ; la bouche dédaigneuse est impeccable comme prise à la statue d’un dieu grec. Après les discussions, où il feint de renouer ce mouchoir magique, qui contient tout, le ciel, la terre et l’enfer, il cède toujours et, du geste d’un roi qui gratifie son sujet, il dépose l’objet sur mon lit : « Take it », dit-il, avec un dédain profond, comme s’il faisait un cadeau. Mais il suit des yeux ma bourse, où je la place, étudie les fermetures de mes valises, avec un regard qui dévisse les serrures. Je ne peux plus m’en débarrasser ; il veut me vendre maintenant des jouets d’enfant, des boites à décuple fond qui servent à des prestidigitateurs ; je finis par me fâcher. Il traîne. Rozian l’expédie.

Après m’être assoupi encore, je veux regarder mes emplettes ; je me frotte les yeux avec étonnement. Ce marchand est, en effet, un mauvais enchanteur. Les reines qu’il m’a vendues avec tant de désintéressement pour une somme assez ronde de roupies, ne sont plus que d’infects gribouillages sur des loques, l’ivoire n’est que du bois peint, le mica est taché par les sueurs et les pluies.