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VISIONS DE L’INDE

de fonte. Ils sillonnent la montagne, propagent à des milles et à des milles une eau limpide qui, çà et là, s’amasse en des bassins artificiels, Quoique le soleil dore déjà les versants où se serrent les sapins et les chênes, où éclate la floraison violente des rhododendrons, le froid devient de plus en plus vif. Nous laissons plus bas que nous les plantations de thé et de café, les feuilles éplorées des eucalyptus, l’écorce fauve des cinchonas.

— Snow ! crie-t-il.

Et l’ingénieur me montre, avec la joie d’un enfant devant un jouet imprévu, la neige qui s’épaissit sur les pentes. Le sabot de nos chevaux hésite sur la terre glissante, dans le verglas qui a fondu. Je propose de mettre pied à terre, mais ces Anglais sont fous, ils aiment l’extraordinaire, flairent l’accident comme une délicieuse proie. Il s’entête. Nos chevaux s’effraient, leurs jarrets s’enfoncent dans la toison blanche, ils deviennent indociles. Enfin, la route cède tout à fait sous eux. Les voici jusqu’au poitrail dans ce linceul dense qui craque. Ils bondissent, se relèvent, retombent. Nous roulons dans des arbustes qui, heureusement, nous arrêtent au commencement de l’abîme. Mais les bêtes ont fui, poursuivies par les boys. Nous restons seuls tous deux, l’ingénieur et moi, aux trois quarts du chemin. L’Anglais éclate d’un rire bref.