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VISIONS DE L’INDE

il est musulman et sobre comme un fils du désert, mais en secret il s’enivre d’opium. Le boy de mon camarade est un Hindou qui vient de Bombay, gras et plus âgé, avec des yeux d’aigrefin, infixables, des anneaux très longs aux oreilles, des ongles peints, un front tatoué de lignes verticales que vainement, espérant nous plaire, il a grattées ce matin.

Il nous apprend qu’il y a une grande fête cet après-midi, au temple de Kali, dont il est lui-même un fidèle. C’est très loin, à Kali-Gâth. « Kali-Gâth », c’est-à-dire vulgairement le quai de Kali. De Kali-Gâth, premier faubourg de cette ville cosmopolite, confuse, monstrueuse, où nous sommes, les Anglais ont fait « Calcutta ». Oui, allons tout de suite rendre hommage au génie de la ville, à l’épouse-guerrière de ce Shiva qui est, sans contredit, le premier dieu de l’Inde, bien plus adoré que Vishnou, la divinité bourgeoise, ou Brahma, l’idole cléricale. Shiva, c’est l’âme de l’Inde ancienne et moderne, c’est l’ascète, le solitaire, le tueur, le patron du vertige, de regorgement et du suicide. Et ses femmes, Kali et Durga, représentent l’ivresse et la mort…