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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

éclaire crûment et d’où se lèvent, interminables, les nuages de poussière blanche du terrain calcaire de Champagne, sous le roulement des camions, des autos, des voitures, des trains d’artillerie, des canons, des tracteurs, des chevaux et des hommes. Ce sera partout à l’horizon la plaine unie, coupée de maigres bois de sapins, d’immenses champs plats avec leurs luzernes et leurs betteraves, leurs rares avoines immobiles dans le plein midi qui semble y emmagasiner sa chaleur torride.

Le régiment s’est engagé tout d’abord sur la route des Ardennes.

Simon espère :

— Rethel est à quelques lieues, Clairefontaine tout près… Je vais revoir mon père… et aussi Rolande… peut-être…

Que faudrait-il pour cela ? Une halte, pas trop loin, et un temps de galop.

Puis, quelle angoisse !

— Rolande n’est-elle pas morte ? Et, même vivante, n’est-ce pas comme si elle était morte ?

Mais il préférait la vérité à l’incertitude trop cruelle.

Alors, au fur et à mesure que les kilomètres s’abattent et que la distance diminue vers Clairefontaine, son intime supplice renaît. Il y a quinze jours, quand on est parti de Sedan, il avait cru retrouver tout à coup, dans les officiers, ses camarades d’autrefois, et il pouvait s’imaginer qu’ils essayaient d’oublier qu’à côté d’eux marchait un homme qu’ils avaient condamné à mort. En apparence, rien ne marquait le rappel du passé… si ce n’est à peine, de temps en temps, quelques hésitations dans un regard…

Et voici que depuis quelques minutes, en revivant dans l’atmosphère du meurtre, les visages redeviennent froids, impénétrables, les yeux durs ou lointains,