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provient de la difficulté qu’ont les Wallons de prononcer deux consonnes de suite. On dirait j’abot’nêye, pour ne pas dire j’abotne ; j’ach’têye, pour ne pas dire j’achte. Mais rien n’empêcherait les Wallons de dire j’abotène, ou j’achète ; puisqu’ils disent bien j’ad’vène, je devine, et il ajètte, il jette de mon côté. L’explication de Micheels n’est donc pas suffisante.

Remarquons aussi qu’il existe une grande liberté dans l’emploi de cette terminaison êye en wallon.

Son emploi ou son rejet sont pour ainsi dire de l’ordre de la diversité des dialectes et dépendent même des individus qui les parlent.

Il est une foule de verbes qui, à côté de la forme en êye, possèdent la forme ordinaire en e muet. Ex. : ènonder (j’ènonde et j’ènondêye) ; rimeûbler (ji r’meûbèle et ji r’meublêye) ; pruster (prusse et prustêye) ; masquer (masse et masquèye) etc., etc.

Cette forme en êye me paraît tout simplement être une particularité dialectologique, permettant d’éviter certaines cacophonies ou duretés de prononciation, et provenant, pour un grand nombre de verbes qui ne peuvent invoquer cette raison d’esthétique, de la grande loi d’analogie si puissante en wallon.

En outre, elle constitue encore un mode particulier de simplification, en ce sens qu’elle permet de conserver à un grand nombre de verbes, leur physionomie générale au cours de leur flexion. Si elle n’était pas en usage, il faudrait soit modifier la voyelle du radical verbal, comme dans ji m’acalène (de s’acaliner), soit réintercaler une voyelle disparue, comme dans achète (de ach’ter), soit réintroduire une voyelle qui a disparu dans l’évolution romane rimeûbèle (de r’meûbler) ou qui n’a même pas existé en latin, comme dans soffèle (de soffler, sufflare)[1], soit enfin remanier la texture d’un mot comme dans

  1. Le wallon n’est cependant pas rebelle à cette dernière introduction. Voir plus loin les verbes en ler.