Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/247

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il suit que l’on estime heureux les végétaux et les animaux, quand chacun d’eux atteint sans obstacle le but que la nature leur assigne. Il en est de même pour les dieux : le terme de leur bonheur est d’être ce que comporte leur nature. Ainsi ne prenons pas la peine de chercher où se cache le bonheur. Ni l’aigle, ni le platane, ni pas un autre des oiseaux ou des végétaux, ne prend de souci pour se parer d’ailes ou de feuilles d’or : il ne souhaite point avoir des bourgeons d’argent, des éperons et des ergots de fer, que dis-je ? de diamant. Les ornements que la nature leur a tout d’abord départis, s’ils sont solides et s’ils contribuent à leur vitesse ou à leur vigueur, chacun d’eux les estime suffisants et s’en contente. Comment donc ne serait-il point ridicule de voir l’homme seul chercher le bonheur au dehors, dans la richesse, la naissance, la puissance de ses amis, et mille autres avantages, en un mot, qu’il place au-dessus de tout le reste ? Si la nature nous eût donné, comme aux animaux, des corps et des âmes semblables aux leurs, sans rien de plus, nous n’aurions pas à nous préoccuper au delà. Il ne nous resterait, comme aux animaux, qu’à nous contenter des biens corporels et qu’à faire effort pour trouver notre bonheur. Mais, outre que l’âme qui est en nous ne ressemble point à celle des animaux, soit qu’elle en diffère essentiellement, soit que, tout en étant de la même substance, elle jouisse d’une plus grande énergie, comme l’or pur, à mon avis, est de beaucoup supérieur aux paillettes d’or mêlé de sable, car cette opinion sur l’âme est considérée comme la vraie par plusieurs philosophes, nous n’en sommes pas moins convaincus que nous surpassons en intelligence tous les animaux, et que, selon le mythe de Protagoras[1], comme la nature s’est montrée mère généreuse et magnifique envers les animaux, Jupiter nous a doués de la faculté de penser, pour nous tenir lieu de tout. C’est donc dans cette partie la principale et la plus essentielle de notre être qu’il faut placer le bonheur.

11. Vois maintenant si telle ne fut pas la devise de Diogène, qui assujettit son corps à tous les travaux, pour augmenter ses forces naturelles ; qui ne voulut faire que ce que sa raison

  1. Dans quelque fable allégorique qui n’est point parvenue jusqu’à nous. Protagoras, comme Prodicus de Céos, aimait sans doute à semer ses leçons de paraboles et d’allégories. Voyez Diogène de Laërte, trad. Zévort, t. II, p. 215.