Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

approuvait, et dont l’âme ne prit jamais part à ces troubles qui résultent du corps, et que nous sommes souvent forcés de subir par suite du mélange des deux principes de notre être. C’est par de tels exercices que ce grand homme acquit une force de corps comparable, ce semble, à celle des athlètes les plus distingués par leurs couronnes, et qu’il sut rendre son âme capable d’un bonheur égal à celui d’un monarque, ou tout au moins du prince que les Grecs nommaient le grand roi, c’est-à-dire le roi des Perses. Comment voir un homme sans valeur dans celui

Qui, n’ayant ni cité, ni maison, ni patrie[1],


ne possédant pas même une obole, une drachme, un esclave, pas même un biscuit, aliment qui suffisait à Épicure pour se croire aussi fortuné que les dieux, ne prétendit pas rivaliser de bonheur avec les dieux, mais se vanta d’être plus heureux que le plus heureux des hommes ? Si tu ne veux pas m’en croire, embrasse, non pas de nom, mais de fait, le genre de vie de ce philosophe, et tu verras. Mais d’abord montrons ce qu’il était par le raisonnement. Ne te semble-t-il pas que, pour les hommes, le plus grand de tous les biens, le plus vanté de tous, c’est la liberté ? Pourrais-tu ne pas en convenir, puisque les richesses, la fortune, la naissance, la force du corps, la beauté et tous les biens de même sorte, sans la liberté, ne sont point à celui qui paraîtrait en jouir, mais au maître qui le possède ? Qu’entendons-nous donc par esclave ? Est-ce l’homme que nous achetons quelques drachmes d’argent, ou deux mines ou deux statères d’or[2] ? Tu diras sans doute que c’est en effet là un esclave. Et à quel titre ? Parce que nous avons compté pour lui au vendeur une certaine somme d’argent. Mais, sur ce pied, ceux-là aussi sont esclaves que nous délivrons moyennant une rançon. Car les lois ne leur accordent la liberté que lorsqu’ils sont réfugiés dans leurs foyers, et cependant nous les rachetons, non point pour qu’ils continuent d’être esclaves, mais pour qu’ils soient libres. Tu vois donc qu’il ne suffit pas de payer une somme d’argent pour qu’un homme soit esclave quand il a été racheté ; mais celui-là est véritablement esclave qui a un maître autorisé à exiger de lui

  1. Cf. Diogène de Laërte, à l’endroit cité p. 18.
  2. La drachme valait près d’un franc, la mine cent drachmes, le statère d’or vingt drachmes.