Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/250

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juger si ce que nous faisons et ce dont nous nous abstenons est bon ou mauvais, mais s’il nous est interdit par la raison ou par le dieu qui est en nous, c’est-à-dire l’intelligence. Rien n’empêche que le gros des hommes ne suive les opinions du vulgaire : cela vaut mieux que de ne rougir de rien, attendu que les hommes ont un penchant naturel pour la vérité. Mais l’homme qui vit d’après son intelligence et qui sait trouver et discerner les véritables raisons des choses, ne doit point s’en rapporter aux opinions du vulgaire pour savoir s’il agit bien ou mal. Il y a dans notre âme une partie plus divine, que nous nommons esprit, sagesse, raison silencieuse, et dont l’interprète est le langage oral, le discours composé de noms et de verbes. À cette partie en est jointe une autre, variée, diverse, mêlée de colère et de passion, vrai monstre à plusieurs têtes. La question est de savoir si nous devons heurter de front et sans sourciller les opinions du vulgaire, avant d’avoir dompté le monstre et de l’avoir forcé à obéir au dieu qui est en nous, ou plutôt à la partie divine. En effet, nombre de sectateurs de Diogène ont été des brise-tout, des imprudents, des gens au-dessous de la bête fauve. Mais comme ce n’est point mon affaire, je raconterai ici un trait de la vie de Diogène, dont plusieurs riront sans doute, mais qui me paraît à moi fort sérieux.

12. Un jeune homme, dans une foule où était Diogène, s’étant mis à peter, Diogène lui donna un coup de bâton, en disant : « Comment, coquin, tu n’as jamais eu le cœur de faire en public quelque belle action, et tu commences par braver l’opinion publique ! » Il pensait donc qu’un homme doit savoir se rendre maître du plaisir et de la colère avant d’en venir à la troisième épreuve, à la plus décisive, c’est-à-dire l’affranchissement de l’opinion. De là mille causes de maux pour un grand nombre. Et ne vois-tu pas que c’est pour détourner les jeunes gens de la philosophie qu’on fait courir tous ces bruits sur les philosophes ? On dit que les disciples de Pythagore, de Platon et d’Aristote ne sont que des jongleurs, des sophistes, des vaniteux, des empoisonneurs, et le plus digne d’admiration parmi les cyniques on le regarde en pitié. Je me rappelle avoir entendu mon gouverneur me dire un jour, en voyant un de mes compagnons, Iphiclès, la chevelure négligée, la poitrine débraillée et un méchant manteau dans le cœur de l’hiver : « Quel mauvais génie l’a donc réduit à une pareille détresse pour son malheur, et plus encore pour celui de ses parents qui l’ont élevé