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LA CIVILITÉ DES PETITES FILLES.

« — Que veux-tu ! Je ferai comme si cela m’intéressait.

« Il faut parler à chacun des choses qu’il connaît, c’est le c moyen de rendre tout le monde content. Et puis, ne peut-on pas se gêner un moment pour faire plaisir à ceux qui

« veulent bien vous recevoir ? » « Comme Alice avait eu mal à la tête en route, je lui dis encore :

« — Tu ne vas peut-être pas pouvoir manger ?

« — Je me forcerai un peu ; la mère Sophie s’est mise en frais, il faut faire honneur à son festin ou elle aurait de la peine.

« On se met à table, et bientôt après le grand-père commence une histoire pas amusante du tout. Au bout d’un quart d’heure chacun en avait assez, chacun moins Alice, qui écoutait le vieillard avec respect, et suivait son récit en plaçant à propos quelques mots qui rendaient le bonhomme tout heureux, fit, dans le brouhaha des verres, je dis tout bas à mon professeur de politesse :

« — Une personne âgée doit être écoutée avec égard, lors « même qu’elle a des redites fatigantes, n’est-ce pas ? « Et voilà encore une règle de bonne société à retenir « par ton élevée

« La faim un peu apaisée, la gaieté vint aux convives. On causait, on se faisait des amabilités. L’un disait à son voisin : « Aimez-vous la tête de veau, monsieur ? » et à ses voisines : « Prendrez-vous de cette grosse dinde, madame ? » Et encore : « Admirez cette belle bête, mademoiselle. »

« Alice me dit en souriant :

« — Ce joyeux convive ignore que les mots peuvent avoir un double sens et prêter aux équivoques peu flatteuses… »

« Enfin, comme on était arrivé au dessert, moment de laisser aller, Bastien s’est coupé les ongles ; Nicolas s’est nettoyé les dénis avec la lame de son couteau et aussi avec une épingle empruntée à sa voisine ; Mariette a, sans façon, rattaché sa jarretière, et le gros Antoine a enlevé ses