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Page:Juranville - La civilité des petites filles, Ed. 2.djvu/88

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LA CIVILITÉ DES PETITES FILLES.

— Tu as un air bien sérieux, Gustave ? Quelle figure fermée ! Mon garçon, il ne faut pas s’absorber dans le jeu au point que le jeu devienne une fatigue au lieu d’être un délassement ou un plaisir.

— Je perds tout le temps, fait Gustave avec humeur. —

Et tu es maussade, tandis que Pierre qui le gagne montre une joie excessive. Je vois cela. Vous avez tort tous deux. Que l’on perde ou que l’on gagne, il faut être calme et rester maître de soi-même.

Gustave s’est tourné vers Jérôme pour l’écouter. Pierre, qui donne les cartes, profite de ce moment et jette un regard furtif dans le jeu de son adversaire, puis change adroitement une carte.

— Mais, Pierre, dit le vieux soldat indigné, tu triches ! Comment, malheureux, tu triches ! tu ne sais donc pas que tricher au jeu, c’est déjà être fripon ?

— Mais alors, dit Gustave, ce que tu as gagné ne compte pas ! Pierre, rends-moi mes cinq sous.

— Comment ! vous jouiez de l’argent ? Gustave et Pierre baissent la tête.

— Oh ! mes pauvres enfants, dit Jérôme avec tristesse, jouer de l’argent est très dangereux. Le jeu, quand on s’y laisse aller, devient une passion irrésistible qui conduit à tous les excès, à la ruine, au déshonneur.

Vous avez entendu parler du fils du père Richet établi à Paris ?

— Oui.

— Eh bien, ce jeune homme, qui gagnait beaucoup d’argent comme courtier de commerce dans les vins, avait tout pour être heureux : une bonne ménagère, de beaux enfants, une riche maison. Il a goûté au jeu, a voulu y gagner de l’argent, en faire une spéculation, ça été fini de lui. L’argent de la famille y a passé, ensuite celui des fournisseurs. Obligé de vendre son bien pour payer ses créanciers, il ne lui resta pas un sou. Alors, affolé, il est parti, laissant les siens dans la plus profonde misère.