Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xc
ANALYSE DE LA CRITIQUE

Appliquons ceci à l’homme et à ses actions. L’homme est un des phénomènes du monde sensible, et, à ce titre, il est aussi une des causes naturelles dont les actes doivent être soumis à la loi même de la nature. Mais, s’il rentre ainsi, par un côté, sous la loi du monde sensible, il en sort par un autre, c’est-à-dire par certaines facultés qui sont en lui, particulièrement par la raison, qui l’élève aux idées pures et lui dicte des règles dont l’autorité impérative, qu’exprime le mot devoir (ce qui doit être) est entièrement indépendante de tout mobile et de toute condition sensible et n’aurait aucune espèce de sens pour qui n’admettrait que le cours de la nature. Sous le premier point de vue, il ne peut être considéré comme un être libre : chacun de ses actes se lie nécessairement, suivant la loi de la causalité naturelle, à la chaîne de ceux qui l’ont précédé ; mais, sous le second, son action pourra être appelée libre, en tant qu’elle sera déterminée, non par des causes empiriques, mais par des principes de la raison pure. À ce dernier point de vue, il n’est plus nécessaire de rattacher chacun de nos actes à des conditions antérieures, puisque la raison pure, que l’on suppose capable de les déterminer, comme faculté purement intelligible, échappe à la forme du temps et par conséquent aux conditions de la succession ; on peut donc la concevoir comme une causalité par laquelle commence véritablement une nouvelle série d’effets. Les actes qu’elle produit tombent sans doute, en tant qu’effets se manifestant dans le monde sensible, sous la loi même de ce monde ; mais ces mêmes actes échappent à cette loi par leur principe intelligible. Nous pouvons donc regarder les mêmes actes comme nécessaires ou comme libres, suivant que nous les envisageons de tel ou tel point de vue, ou suivant que nous considérons dans l’homme son caractère sensible ou son caractère intelligible. Le premier résulte de toutes les conditions empiriques où l’homme se trouve placé : aussi, si nous voulons nous expliquer, à ce point de vue, une de ses actions, en cherchons-nous la cause dans les circonstances précédentes ou concomitantes qui ont pu la déterminer ; et, si nous pouvions pénétrer jusqu’au fond de tous les phénomènes de sa volonté, n’y aurait-il pas une seule action que nous ne pussions prédire avec certitude, et dont nous ne pussions reconnaître la nécessité par ses conditions antérieures. Le second, au contraire, qui relève de la raison, en tant qu’elle