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ANALYSE CRITIQUE


permettre jamais la lecture qu’aux heures de récréation. À cette condition non-seulement elle sera sans danger, mais elle pourra avoir aussi son utilité, en développant leurs idées et en les instruisant par l’intermédiaire même de leur faculté prédominante, l’imagination. Telle est, comme Rousseau lui-même en convient, malgré son amertume contre certaines fables de la Fontaine, telle est l’utilité de l’apologue, si bien fait pour introduire les idées morales dans l’esprit des enfants. La marche à suivre dans leur développement intellectuel ne nous est-elle pas indiquée ici par celle même de la nature dans le développement de l’humanité et des peuples ? Telle sera aussi, plus tard, l’utilité de certains romans, comme, par exemple, ceux de Walter Scott. Est-ce, pour des enfants d’un certain âge, une lecture dangereuse ou oiseuse que celle d’un roman qui met sous leurs yeux la fidèle peinture d’une époque de l’histoire, le portrait vivant des personnages qui y ont figuré, de leur caractère et de leurs mœurs, la punition de leurs fautes dans leurs malheurs, etc. ; et qui, en charmant l’imagination sans jamais la surexciter, instruit l’esprit et forme le jugement ? Mais, si instructive et si morale qu’elle soit, cette lecture, à cause de sa nature même, ne doit jamais être admise que comme un délassement ; et en thèse générale il faut reconnaître avec Kant que c’est une mauvaise lecture pour des enfants que celle des romans. Si donc on peut lui reprocher ici quelque exagération, elle part d’un bon principe. Il ne nie pas d’ailleurs l’utilité qu’on peut tirer de l’imagination pour l’instruction de l’esprit : c’est ainsi qu’il conseille de faciliter l’étude de la géographie à l’aide des cartes, et celle de l’histoire naturelle à l’aide des figures d’animaux ou de plantes 1[1]. Il recommande aussi la lecture des récits de voyage 2[2]. Quant à l’histoire, qui ne doit venir que plus tard 3[3], elle est un excellent moyen d’exercer l’entendement à bien juger 4[4]. Mais il faut pour cela qu’on n’en fasse pas une insignifiante nomenclature d’événements et de noms propres, ou bien encore une école de fatalisme (comme celle qui s’est si hardiment développée de nos jours), où l’on étouffe la moralité de ses enseignements sous l’apologie des crimes nécessaires, et

  1. 1 P. 223.
  2. 2 P.221.
  3. 3 P.224.
  4. 4 P. 220.