Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/144

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Mme Dupin, répétaient la même chose. Elles chantaient à l’enfant que sa grand’mère était sa bienfaitrice, que sans son aïeule, elle et sa mère mourraient de faim, que, si elle aimait sa grand’maman et lui obéissait, tous les bonheurs que donne la richesse l’attendaient à l’avenir, tandis que, si elle se montrait ingrate, elle se verrait réduite à vivre avec sa mère « dans son petit grenier, et à manger des haricots ». On peut s’imaginer que la perspective d’habiter un grenier et de se nourrir de haricots apparut immédiatement à la petite rêveuse comme le comble de la félicité. C’est là un trait qu’on rencontre souvent chez les enfants aisés, qui considèrent comme un bonheur suprême la possibilité d’acheter, non des bonbons qu’ils trouvent chez un confiseur ; mais du sucre d’orge aux petites boutiques, et sont tentés de mordre à belles dents dans les galettes de seigle des paysans, ou de marcher pieds nus dans le sable. Aurore, qui était déjà chagrine d’être séparée de sa mère bien-aimée, se mit à rêver à la possibilité de vivre à Paris avec elle, comme au plus grand des bonheurs, et à en parler tout haut. Les commères n’eurent rien de plus pressé que de s’épouvanter de tant de déraison. Cela suffit pour que la petite, naturellement entêtée, encline, comme tous les enfants, à la contradiction, n’ayant pas encore eu le temps de s’attacher à sa grand’mère, trop jeune pour la comprendre et l’apprécier — comme elle l’apprécia plus tard. — n’éprouvant aucune contrainte auprès d’une mère nullement préoccupée de son éducation, mais ennuyée par les leçons et les observations de sa grand’mère, cela suffit, disons-nous, pour qu’elle vît, du coup, dans son aïeule une ennemie, et dans sa mère une idole. Tel fut le début de la première crise romanesque dans la vie de la future George Sand.