Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses promenades et ses voyages. Si les champs de Nohant ne lui avaient pas donné cette santé, ils l’avaient certainement fortifiée. En admiratrice d’Émile, sa grand’mère jugeait qu’il fallait laisser à la fillette une liberté complète jusqu’au moment des études sérieuses, et, quand celles-ci eurent commencé, dans les entr’actes, il lui était permis de s’amuser. Accompagnée d’Ursule et d’Hippolyte, ou de Liset et de petits villageois, Aurore allait dans les bois chercher des fraises, dénicher des oiseaux, ou garder les troupeaux dans les prairies ou dans les pâturaux, terrains vagues et sauvages, propriétés des communes, que, de temps immémorial, on conservait en friche dans le Berry, et où tout villageois avait droit de laisser paitre son bétail. Elle savait tout aussi bien que n’importe quelle petite villageoise, dans quelle clairière mûrissaient les plus grosses fraises, au bord de quel ruisseau croissaient les myosotis les mieux teintés, dans quel champ on trouvait les plus belles nielles et les plus beaux bluets. Aurore grimpait hardiment aux arbres pour dénicher des oiseaux, prenait plaisir à faire paître des brebis, n’avait aucune crainte des grands bœufs que les Berrichons savent si bien conduire en les aiguillonnant de leurs bâtons ferrés. Lorsqu’il survenait un orage ou une tempête, la joyeuse bande se réfugiait sous quelque vieux hangar ou dans une grange en ruines. Leur plus grand plaisir était alors de conter des histoires terribles et mystérieuses dans le genre de celles que se racontent les petits camarades du Biégine Loug de Tourguéniew. Hippolyte, dans les veines duquel coulait un sang plébéien, croyait aux fadets, aux lupins, aux loups-garous qui faisaient trembler Pierre, Silvain et Fanchette. La petite-fille d’une aïeule encyclopédiste était sans doute plus sceptique que ses petits camarades à l’endroit de ces