Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/321

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mon cerveau s’éveillaient et s’enchaînaient, par la déduction, au courant de la plume, que, dans ma vie de recueillement, j’avais beaucoup observé et assez bien compris les caractères que le hasard avait fait passer devant moi, et que, par conséquent, je connaissais assez la nature humaine pour la dépeindre ; enfin, que de tous les petits travaux dont j’étais capable, la littérature proprement dite était celui qui m’offrait le plus de chances de succès comme métier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain[1]. » Il serait plus vrai de dire que c’est à partir de cette époque qu’Aurore Dudevant avait deviné sa vocation, et que George Sand était prête à naître. Il lui fallut cependant éprouver de fortes secousses pour entrer dans cette voie ; l’enfantement de ce nouveau génie, comme tout enfantement, ne se fit pas sans souffrances, ni sans appréhensions.

Toutes ces occupations n’auraient pu tenir lieu de bonheur à Aurore si elle ne se fût sentie soutenue par l’amitié d’Aurélien de Sèze. C’est à lui qu’elle écrivait, puisant dans cette correspondance très suivie la joie et la consolation, la force et la patience dont elle avait besoin dans sa vie de tristesse. C’est à de Sèze que se rapportent les pages si connues de l’Histoire de ma Vie, qui sont comme enveloppées de mystère, pages auxquelles M. d’Haussonville fait allusion et qui ont intrigué tant de lecteurs… « Ma solitude morale était profonde, absolue, elle eût été mortelle à une âme tendre et à une jeunesse encore dans sa fleur, si elle ne se fût remplie d’un rêve qui avait pris l’importance d’une passion, non pas dans ma vie, puisque j’avais sacrifié ma vie au devoir, mais dans ma pensée. Un être absent, avec lequel je m’entretenais sans cesse, à qui je rapportais

  1. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 60-61.