Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/446

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entière, c’est la vue, la connaissance, la méditation du destin de l’homme ici-bas. On se fatigue vite de se contempler soi-même. Nous sommes de petits êtres si tôt épuisés, et le roman de chacun de nous est si vite repassé dans sa propre mémoire… Nous n’arrivons à nous comprendre et à nous sentir vraiment nous-mêmes, qu’en nous oubliant pour ainsi dire et en nous perdant dans la grande conscience de l’humanité. C’est alors qu’à côté de certaines joies et de certaines gloires dont le reflet nous grandit et nous transfigure, nous sommes tous saisis tout à coup d’un invincible effroi et de poignants remords ne regardant les maux, les crimes, les folies, les injustices, les stupidités, les hontes de cette nation qui couvre le globe et qui s’appelle l’homme. Il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’égoïsme qui nous console quand nous nous absorbons dans cette idée… Eh bien, il n’est pas nécessaire d’être un saint pour vivre ainsi de la vie des autres et pour sentir que le mal général empoisonne et flétrit le bonheur personnel. Tous, oui tous, nous subissons cette douleur commune à tous, et que ceux qui semblent s’en préoccuper le moins s’en préoccupent encore assez pour en redouter le contre-coup sur l’édifice fragile de leur sécurité… Deux personnes ne se rencontrent pas, trois hommes ne se trouvent pas réunis, sans que, du chapitre des intérêts particuliers, on ne passe vite à celui des intérêts généraux pour s’interroger, se répondre, se passionner… »

En faisant le bilan de toutes ces douleurs personnelles et générales, on comprend facilement que toutes les lettres de George Sand, datant de 1832 et du commencement de 1833 soient pénétrées d’un morne chagrin et d’un sombre désespoir. En janvier 1832, elle écrit de Nohant à François Rollinat : « Je ne saurais me résoudre à vous écrire ma