Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/181

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Cela me rendra un peu de gaieté, car cette pièce à faire répéter, la grippe et l’air de Paris m’ont donné un idiotisme spleenétique. Mon foie est assez malade, à ce que dit Gaubert[1]. Toi seul connaîtras mon mal et le guériras. Que ces raisons te fassent donc arriver au plus vite. S’il faut même que je sois à l’agonie, j’avalerai de la mort-aux-rats, pourvu que tu viennes. Adieu, mille tendresses à ton père. Tâche d’amener Boutarin[2], Fleury, Charles, Rollinat, tous nos vieux. Mais je ne les espère guère. Ils sont si paresseux ! Ils sont dans la vase berrichonne comme des âmes perdues[3].

La première de Cosima eut enfin lieu le 29 avril. La pièce n’eut pas de succès, ou plutôt elle n’eut qu’un succès d’estime, c’est-à-dire qu’elle ne tomba pas grâce au nom de l’auteur, mais elle souleva par quelques phrases audacieuses des protestations d’une certaine partie du public et fut froidement reçue en général.

Henri Heine qui consacra à George Sand justement à propos de cette première de Cosima toute une Lettre parisienne (nous l’avons déjà citée à plusieurs reprises), dit dans la première partie de cette Lettre, datée du 30 avril 1840, que le renom de l’auteur, certaines passions haineuses et différentes autres causes amenèrent ce jour-là une foule au théâtre ; qu’il se préparait d’avance force intrigues contre la pièce ; que cabale et rancunes s’unirent à la plus basse jalousie de métier ; que l’audacieux auteur devait payer pour toutes ses « idées anti-religieuses et subversives », mais que lui, Heine, ne saurait dire « en toute conscience si ce fut un fiasco décisif ou bien un succès douteux ».

… Le respect devant le grand nom avait peut-être paralysé certaines mauvaises intentions. Je m’attendais au pire. Tous les antagonistes de l’auteur s’étaient donné rendez-vous dans l’immense salle du Théâtre-Français, qui contient plus de deux mille personnes. L’administration avait donné à peu près cent quarante billets au service de l’auteur, pour les distribuer à ses amis, je crois toutefois qu’étiquettés

  1. Le docteur Gaubert jeune. Son père (ou oncle), grand ami de Chopin et de George Sand, mourut au printemps de 1839, pendant le séjour de Mme Sand à Marseille. (Cf. Corresp., t. II, p. 144, et la lettre médite à Mme Marliani du 22 avril 1839 donnée plus haut.)
  2. Sobriquet de Duteil.
  3. Inédite.