Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/410

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rifier ni les rebuts grossiers et abjects de la société, ni trouver l’explication d’un lâche crime commis par vingt-six canailles ; c’est un simple appel à la justice publique au nom d’un corps de métier, au nom d’hommes qui ont le droit de ne point être des rebuts, mais de modestes et utiles agents du travail, fabriquant le produit le plus pur, le plus indispensable pour tous, ce pain quotidien qu’on demande dans la plus sublime des prières !

On dit par chez nous, messieurs, que vous faites paraître un journal qui a nom l’Éclaireur, pour éclairer le monde du pays sur bien des affaires qui, jusqu’à présent, n’ont pas été claires du tout, surtout pour nous, bonnes gens, qui savons tout au plus lire et écrire, et pour bien d’autres qui n’en savent même pas si long. Je me suis laissé dire que vous permettriez bien au dernier villageois de vous donner avis de ses peines et de ses idées (c’est tout un par le temps qui court) et que si nous avions quelque chose à réclamer, vous nous aideriez bravement à le faire assavoir à au moins dix lieues à la ronde. C’est pour ça, messieurs, que je mets la main à la plume, vous priant de m’excuser, si je ne sais pas bien tourner un écrit, et si je dis, faute de savoir, quelque chose que la loi défend de penser.

Vous voyez, messieurs, d’après ce commencement, que j’ai l’agrément de savoir lire et écrire, quoique je ne suis pas né dans le temps où l’on allait à l’école. Mais l’ancien curé de ma paroisse s’était amusé à m’instruire un peu, et j’ai appris le reste en essayant de lire dans les gazettes que notre ancien seigneur lui prêtait. Ce qui fait qu’au jour d’aujourd’hui, quand j’en trouve l’occasion, je fourre encore un peu le nez par-ci, par-là dans les nouvelles. Eh bien, je n’en suis pas plus avancé, car tantôt je trouve dans les uns que tout va mal au pays de France, et tantôt que tout va si bien qu’on chante et qu’on banquette pour remercier le roi et le bon Dieu de la prospérité publique.

On ne peut pas se gausser du bon Dieu, mais tant qu’au roi, c’est bien certain qu’on se permet de l’affiner, si on lui dit que nous sommes contents, et, quoi qu’en dise M. le préfet de l’Indre, qui bien sûr l’a dit pourtant à bonne intention, nous répétons tous les matins et tous les soirs et souvent sur le midi : Ah, si le roi le savait !

Tout en me creusant la tête pour savoir moi-même d’où nous vient tant de misère, que personne ne plaint et que personne ne dit au roi, je crois bien que je l’ai trouvé et je ne serai pas si câlin de ne pas oser le dire.

Oui, messieurs, j’ai trouvé le fin mot en y pensant, et si ce n’est pas la vérité, je veux perdre mon baptême. Voilà ce que c’est.