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article, George Sand peint avec un sincère enthousiasme la grandiose fête du 20 avril, qui devait symboliser la fraternité du peuple et de l’armée. Or, cette fête fut une démonstration assez artificielle et officielle. Et quoique le beau spectacle ait pu aveugler George Sand, lui cacher la cruelle réalité en lui faisant croire au républicanisme vital des masses et en lui faisant attribuer la manifestation contre-révolutionnaire aux menées de la bourgeoisie seule, néanmoins Mme Sand comprit presque immédiatement qu’il n’existait plus dans le peuple ni vraie concorde, ni vraie union. Elle se rendit un compte exact des causes profondes et générales qui amenèrent, le 16 avril, à des résultats qu’on voulait croire « inattendus ». Dans sa lettre du 17 avril à son fils (imprimée dans la Correspondance), et dans les pages du Journal, écrites non plus post-facto, mais bien réellement le 26 avril, après les événements du 16 et du 20, on sent la conviction que la cause des socialistes républicains est perdue, ou pour le moins fort menacée, qu’on a fait un faux pas et que ses suites sont déplorables pour la République démocratique et la cause de la liberté.

Paris, 17 avril 1848.
Mon pauvre Bouli,

J’ai bien dans l’idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir. Aujourd’hui elle a été souillée par des cris de mort. La liberté et l’égalité ont été foulées aux pieds avec la fraternité, pendant toute cette journée. C’est la contre-partie de la manifestation contre les bonnets à poil.

Aujourd’hui, ce n’étaient plus seulement les bonnets à poil, c’était toute la bourgeoisie armée et habillée ; c’était toute la banlieue qui criait en 1832 : Mort aux républicains ! Aujourd’hui elle crie : Vive la République ! mais Mort aux communistes ! Mort à Cabet ! Et ce cri est sorti de deux cent mille bouches dont les dix-neuf vingtièmes le répétaient sans savoir ce que c’est que le communisme ; aujourd’hui, Paris s’est conduit comme la Châtre.

Il faut te dire comment tout cela est arrivé ; car tu n’y comprendrais rien par les journaux. Garde pour toi le secret de la chose.

Il y avait trois conspirations, ou plutôt quatre, sur pied depuis huit jours.

D’abord, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Flocon, Caussidière et Albert